Sabri le peintre conteur expose à la KhalidFine Arts Gallery

Rédigé le 15/11/2024
Élisabeth RICHAT

L’œuvre de Sabri s’inscrit clairement dans un genre pictural dont la filiation s’enracine dans l’univers ancestral de la miniature autant arabe que persane. Le jeune artiste est plus particulièrement marqué par les peintures de Mohamed BenAli Rbati. Or, ce dernier n’est pas n’importe qui. Il est considéré par les historiens d’art comme le premier artiste peintre moderne marocain. Du fait, comme l’a bien expliqué Mohamed Rachdi en le présentant à juste titre comme le fondateur, avec le photographe le Sultan Moulay Abdelaziz, de « la première modernité artistique marocaine», BenAli Rbati a su opérer une rupture dans le champ esthétique traditionnel marocain. Dans l’espace de celui-ci caractérisé par la bidimensionnalité, la prohibition de la représentation figurative, la stylisation des formes, la multiplication des symboles et des signes abstraits, Il ouvre l’espace tridimensionnel en jeux de la perspective, plus au moins maîtrisée, afin d’y inscrire les scènes de la vie quotidienne de Tanger du début de siècle dernier. Sabri emprunte à BenAli Rbati cette approche plastique qui, au sein de l’esthétique islamique et en articulation avec elle, célèbre l’image en donnant la part belle à la représentation des figures humaines combinées aux décorations architecturales et aux enluminures faits de structures géométriques et d’entrelacs végétaux. Toutefois, cet emprunt ne vaut pas copie. Sabri a certainement regardé et ce manifestement avec beaucoup d’admiration la peinture de BenAli Rbati dont il suit l’exemple, mais à bien regarder ses propres créations, on remarquera que, bien qu’il lui doit beaucoup, il ne se contente pas d’imiter servilement le pionnier de la modernité. En effet, Sabri ne fera qu’exploiter à sa façon les trouvailles plastiques et thématiques de BenAli Rbati ainsi que celles d’autres artistes de la même filiation, pour en fin du compte aboutir à créer des œuvres personnelles assez singulières. Des œuvres qui peuvent revendiquer en toute légitimité leur spécificité plastique et thématique au sein de la catégorie de celles qui s’alimentent de l’univers de la miniature et de l’enluminure.




Bien qu’il utilise souvent le papier comme support et la peinture acrylique comme médium pour produire des œuvres bidimensionnelles, Sabri crée aussi des œuvres en bas-reliefs au moyen de divers matériaux et techniques. Il se fait donc artisan et fabrique des constructions en fonction des histoires à raconter. La narration demeure l’aspect marquant de son œuvre. Peintre, Sabri est avant tout un artiste-conteur. Il aime raconter des histoires inspirées de la vie quotidienne qu’il présente sous-forme de scènes construites de manière sophistiquée et faisant preuve d’une description minutieusement détaillée. Le type de peinture que choisit d’investir Sabri se prête parfaitement à la narration. Fait de cernes définissant, de manière claire et schématique, figures, objets et autres architectures, d’aplats de couleurs franchement étalées générant une polychromie quasi-pédagogique à l’instar de celle utilisée dans les manuels scolaires, la bande dessinée ou la miniature bien sûr, mais aussi du déploiement séquentiel des scénettes, ce type de et de peinture offre des possibilités narratives qui ont fait leurs preuves. S’ajoute à cela le fait que dans certaines œuvres l’artiste recourt à la structure du polyptique et au jeu du déploiement de scènes entre caché et montré, intérieur et extérieur, ouvert et fermé. L’une des caractéristiques des peintures de Sabri est leur taille qui est clairement loin de celle qui les a inspirées. Loin de la miniature et du livre qui impose des dimensions nécessairement réduites, l’échelle de ses œuvres est manifestement grande, compte tenu des moyens techniques utilisés qui sont ceux de l’univers de la miniature et de l’enluminure liées aux modestes espaces des manuscrits. Les œuvres de Sabri sont faites pour s’insérer dans les espaces architectures. Il arrive qu’elles se présentent, elles-mêmes, comme des constructions architecturales sous formes de retables offrant la possibilité de déployer des scènes de récits confectionnés par l’artiste qui affectionne les thèmes illustrant des us et coutumes, tels que la célébration de mariage, les offrandes, les halqas (spectacles dans les places publiques, les souks, etc.), les fantasias, la baïa (allégeance), la cérémonie de la fête du sacrifice du mouton), etc.


il est vrai que Sabri s’est fait connaître pour son travail à l’acrylique sur papier, il utilise aussi diverses techniques et matériaux variés, notamment dans la réalisation de ses œuvres en bas-reliefs, lesquelles débordent le plus souvent du cadre quadrangulaire conventionnel pour arborer des configurations plus libres. Sur du papier, comme sur des peau de tambourins carrés ou circulaires, ou encore sur du bois MDF, Sabri découpe et sculpte au laser, dessine et peint à l’acrylique. Il multiple les médiums, les techniques et les supports en jouant avec les parties traitées et les laissées brutes, les cadres et les encadrements, l’ouvert et le fermé… Il brise les frontières entre le construit et le non construit, le centre et les marges, en conduisant le regard de l’extérieur à l’intérieur et de l’intérieur à l’extérieur… Ces œuvres figurent aussi bien des images que des textes. Elles représentent aussi bien des architectures de palais que celles des Kasbahs, des univers citadins que ruraux, des humains que des animaux, des minéraux que des végétaux, etc. Elles expriment le mouvement, le temps et l’espace, mais toujours loin de tout réalisme figuratif en sollicitant en permanence l’esthétique de l’enluminure et de la miniature aussi bien arabe que persane. Tant par son traitement, entre physique et métaphysique, de l’espace plastique dépourvu d’ombre portée, fait d’aplats de couleurs, de cernes, d’ornements et d’écritures calligraphiques…, que par la multiplication des métaphores et des symboles (comme ces couples de cigognes qui animent ses scènes de mariage), Sabri inscrit ses œuvres dans le monde terrestre tout en nous invitant à s’envoler vers le céleste.

Galerie d'art Khalid Fine Arts : carte 2 rue Fatim Zohra, 40000