Zoubir est de cette dernière génération de peintres marocains qui avaient enchainé l'école des beaux-arts de Tétouan et une école européenne. Mais pour beaucoup, revenir avec tout ce bagage de connaissances au milieu des années 80 au Maroc, se révéla un piège terrible. Pourquoi ? Parce que simplement à ce moment, la question : que peindre ? Était terrifiante. Le patrimoine identitaire a été totalement saturé par les générations précédentes, et peindre comme Majorelle était totalement dépassée, en sachant que la liberté totale du choix artistique acquise aujourd'hui n'était que timidement esquissé. Et pour compliquer encore leur situation, une indifférence à leur égard était de mise, et des anciens, et des rares collectionneurs du moment. Ces difficultés accumulées ont exercé une sélection terrible parmi cette génération, mais ceux qui ont résisté à son érosion ont trouvé une voix royale vers l'originalité qui les distingue aujourd'hui.
Zoubir était conscient alors, qu'il ne pouvait ni reproduire un motif traditionnel marocain, ni faire un orientalisme désuet. Il a d'abord tenté une abstraction lyrique, où seuls les couleurs créent une harmonie en se jouant de leurs rapports logiques, animées par le caractère nerveux de l'artiste.
Ensuite Zoubir a eu une intuition géniale, celle d'aller s'installer à El Jadida et de s'occuper à peindre, loin des mondanités et des ragots de Rabat. Il a eu le temps de trouver deux sujets, pour éviter à sa peinture un épuisement certain dans un formalisme sans prise sur le réel. Zoubir est profondément et totalement dans la peinture, c'est-à-dire ni la littérature, ni la pensée générale ne viennent l'aider dans son chantier. Sa poésie doit la distiller des seules couleurs qui se saisissent des corps féminins et des formes du simple verre. Deux sujets extraordinaires pour lui, car inépuisables pour sa peinture, mais qui donnent à celui qui admire son uvre une porte d'entrée pour immiscer son regard sur cette féerie de couleurs.
Cézanne le premier dans ses natures mortes avait étriqué la profondeur, qu'un Matisse à Tanger avait écrasée, pour que le tableau soit uniquement une surface où les couleurs se jouent du regard.
Nous avons parlé de la nervosité de Zoubir, ces colères sont connues dans le cercle de ses amis. C'est le carburant de la créativité de cet artiste, adossée à sa grande maitrise de la technique. C'est ce qui fait danser ses formes féminines, ses verres, et plus généralement ses couleurs. Le tableau de Zoubir est une scène vivante, ses nues, qui dialoguent avec les baigneuses de Cézanne et les Demoiselles d'Avignon, sont plus agités. Zoubir peint d'une manière précipitée, par tempérament, aidé de la grande maitrise qui est la sienne. Notre regard est mis au défi par ces déflagrations colorées, et la richesse de détails augmente son désarroi. Mais quelle jubilation ! L'art, le grand, c'est celui qui intrigue l'âme plus longtemps. Une sensation diffuse s'accapare de nous, qui à chaque nouveau regard augmente de densité. Peut-être que de l'océan immense qui entoure son atelier, il puise dans sa force tellurique, pour continuer cette marche forcée vers le sublime.
Azzouz Tniffas